Déclin de l'Empire iranien chiite : Vers une transformation géopolitique.
La guerre est un événement tragique et destructeur, mais elle souligne aussi qu'elle peut constituer un élément majeur de changement sociale sur le plan microsociologique ou des changements dans les relations entre les Etats sur le plan macrosociologique. 21/06/2025
Bekkaj Rachid Sociologue
L'éventuelle chute du régime iranien à la suite d'une offensive militaire israélienne et les conséquences qui s'ensuivent sur les plans social, politique, militaire, économique et géopolitique poussent le sociologue à se poser des questions pour tenter de comprendre la dynamique des groupes en conflit. Cela nécessite d'étudier leurs environnements politiques et militaires ainsi que leurs tactiques géopolitiques. et de saisir la guerre en tant que phénomène sociologique. Ainsi s'interroger sur la manière dont elle peut soit consolider l'unité sociale et politique à l'intérieur d'une nation et entre les pays, soit causer une fracture sociale et la désintégration du système social, ou encore engendrer des tensions internationales entre pays favorables ou hostiles à la guerre.
Selon la sociologie, la guerre est un événement tragique et destructeur, mais elle souligne aussi qu'elle peut constituer un élément majeur de changement sociale sur le plan microsociologique ou des changements dans les relations entre les Etats sur le plan macrosociologique. La guerre peut engendrer des impacts de longue durée sur les structures de la société et politique. Les sociétés peuvent être forcées de réorganiser leurs institutions et leurs systèmes de gouvernance pour faire face aux conséquences de la guerre.
Pour comprendre les origines de ce phénomène dans le cadre du conflit entre Israël et l'Iran, il est indispensable d'adopter une perspective sociologique exploratoire. Notre interrogation primordiale est : Est-il envisageable de considérer ce conflit comme essentiel pour instaurer un monde davantage stable et pacifique ?
Depuis la révolution de Khomeiny en 1976, le pouvoir iranien à Téhéran a amplifié sa suprématie et son essor pendant cinq décennies. Au cours de cette période, ce régime s'est métamorphosé en une force régionale considérable. Qassem Soleimani, le général iranien à la tête de la Force Al-Qods du Corps des Gardiens de la Révolution Islamique, qui a été assassiné à Bagdad le 3 janvier 2020 ; un rôle crucial dans l'implication militaire de l'Iran dans des événements majeurs. C’est ce qui a conféré à ce régime l'autorité de diriger sur les quatre capitales : Bagdad, Damas, Beyrouth et Sanaa. Ce contrôle a aussi englobé la sécurité à un niveau régional.
Fondé en 1982, le Hezbollah était le principal soutien du régime chiite iranien au Liban, s'exprimant au nom de ses dirigeants et bénéficiant d'un soutien financier et militaire de leur part. Des directives provenant d’Ayatollah étaient transmises aux responsables du Hezbollah, chargés de former ses partisans maintenir le pays avec des mains de fer. En raison de leur loyauté envers l'ayatollah Khomeini et ses successeurs, les leaders de Hezbollah ont agi en tant que possédant d’une force militaire influente, affectant la région et dans une certaine mesure le monde arabe, particulièrement depuis l'assassinat du Président Rafic Hariri le 14 février 2005 à Beyrouth. Le Liban et sa population sont désormais sous domination iranienne, transformant ainsi la région en province iranienne.
Cependant, le 13 juin 2025 restera gravé dans nos mémoires car c’est le jour où cet empire est tombé. Nous assistons actuellement à la chute rapide d'un régime politique connu par son fanatisme qui a perduré pendant cinquante ans, suite à l'offensive éclair et fulgurante d'Israël contre l'Iran. Non seulement le régime iranien , mais également le reste du monde a été pris par surprise par cette attaque inattendue..
Il est incontestable que, selon la sociologie du conflit armé, les critères pour résoudre les différends nécessitent une grande prudence de la part des participants au conflit. L'Iran a commis une grave erreur. Premièrement, il n'a pas tenu compte du délai mentionné par le président Trump, qui a déterminé une période de négociation de deux mois. Puisque ce délai est dépassé, les autorités iraniennes auraient dû agir avec davantage de prudence. Deuxièmement, le non-respect par l'Iran des normes de l'ONU concernant les réacteurs nucléaires a conduit le Conseil de sécurité à considérer l'Iran comme une nation qui menace la paix et la sécurité à l'échelle mondiale. Il a astucieusement exploité cette circonstance et dirigé ses assauts vers l'Iran.
L'action militaire a été engagée sur le front iranien le 13 juin et a perduré, dépassant la simple élimination du programme nucléaire. Les dirigeants militaires israéliens ont clairement affirmé : le conflit perdurera pendant des semaines. Les indices suggèrent que les attaques persistent. Dans plusieurs secteurs, en particulier contre Téhéran, qui s'est déclaré capitale de la Perse en 1795. Il est certain qu'Israël participera à ce conflit, bénéficiant de l'appui des Etats-Unis qui possèdent 180 bases militaires, disposent de 11 porte-avions et détiennent des compétences technologiques hautement évoluées.
Comment la décision est prise ?
Pour répondre à cette question il faut contextualiser le problème a savoir son contexte historique.
En 1953, le président des États-Unis Eisenhower a présenté à l'ONU une initiative nommée « Perle de la paix », visant à orienter l'énergie nucléaire du champ militaire vers un objectif pacifique. Les États-Unis ont assuré d'apporter leur soutien à ceux qui le désiraient. Sous le règne du Shah Reza Pahlavi, l'Iran a été parmi les premiers pays à agir de manière proactive. En 1957, soit quatre ans plus tard, le Shah a conclu un partenariat de collaboration avec les États-Unis, permettant à Téhéran d'obtenir une aide technique et nucléaire de Washington
Cette collaboration a conduit à l'établissement du Centre de recherche nucléaire en 1967, projet auquel la France et l'Allemagne ont contribué grâce à leur savoir-faire scientifique et technique. Toutefois, les répercussions n'ont pas toujours été manifestes. Le Shah était réputé pour sa collaboration avec Israël à différents égards. La Turquie les a rejoints dans le but de créer une alliance trilatérale avantageuse, qui a non seulement contribué à maintenir le règne du Shah, mais également à préserver sa position.
Développement du projet nucléaire de l'Iran
Sous le leadership de Khomeiny, la révolution s'est produite en 1979. Il a rendu des fatwas proscrivant les réacteurs nucléaires, et l'activité nucléaire s'est arrêtée. L'éventuel basculement de la situation surviendrait à la suite du conflit armé avec l'Irak, un an après la révolution iranienne en 1980, un conflit qui se prolongerait sur une période de huit ans. L'Iran en a subi d'importantes pertes à plusieurs niveaux. Suite au décès de Khomeiny en 1989, l'ayatollah Ali Khamenei a accédé au pouvoir. Assumant le rôle de Guide suprême de la révolution iranienne. Hashem Rafsandjani, le chef de l'État iranien, a pris en charge la relance du programme nucléaire entre 1993 et 1996 et entre 1996 et 1998. Le programme nucléaire iranien a été finalisé en 2003. L'agression à l'encontre des centrales nucléaires de la région ne se limite pas à l'Iran. Elle a précédé l'élimination du réacteur nucléaire irakien, dénommé Tammuz, en 1981 lors de l'opération Ogra, ainsi que l'élimination de ce qui était supposé être un réacteur nucléaire en Syrie, à Deir ez-Zor, en 2006 lors de l'opération Bustan.
Hostilité Iran et EU
L'Iran a mis fin à ses liens diplomatiques avec les États-Unis et Israël dès que Hossein al-Hussein est arrivé au pouvoir. L'Iran chiite percevait les États-Unis comme le Grand Satan et Israël comme le Petit Satan. Toutefois, durant le conflit en Irak, les liens avec Israël ont évolué, étant donné qu'Israël a livré de l'équipement militaire à l'Iran. Dans le contexte d'un pacte secret dénommé Iran–Contra affair en 1985, les États-Unis ont agi de façon similaire. En 2003, le monde a été étonné par l'annonce de Kaddafi lorsqu'il a déclaré que la Libye renonçait à son programme nucléaire.
Pendant cette période, Téhéran, avec l'assistance du Pakistanais Abdul Qadeer Khan, un scientifique nucléaire, a poursuivi ses efforts de développement de l'uranium et a fait progresser son programme nucléaire tout en formant l'Alliance de la Résistance pour sauvegarder ses opérations. Cette coalition comprend le Hezbollah qui repose sur le chiisme duodécimain qui a comme idéologie les thèses religieuses et politiques de Rouhollah Khomein , le Jihad islamique, le Hamas, le régime syrien de Bachar et d'autres. Cela signifie que cette coalition n'a aucun lien avec le soutien à la cause palestinienne.
La démarche Israélienne contre Tehran
Cette offensive a été déclenchée immédiatement après l'opération militaire contre le Hezbollah au Liban. À la suite de ce qu'on a désigné comme l'opération des bipeurs. C'est une attaque typique qu'on n'a jamais observée auparavant. Des bipeurs que des partisans du Hezbollah portent à la taille qui ont explosé, presque en même temps dans tout le pays, le 17 septembre 2024 vers 15h30, blessant leurs utilisateurs et parfois ceux situés aux alentours.
Juste après cette opération une autre démarche s’est effectuée durant laquelle le secrétaire général Nasrallah a trouvé la mort lors d'une attaque à missiles menée par l’armé Israélien le 27 Septembre 2024 après l’opération des services de renseignements israéliens MOSAD, ne lui laissant aucune possibilité de survie, tout comme ses compagnons.
Toutefois, après l'assaut du 7 octobre 2023 mené par le Hamas depuis Gaza, Israël a lancé une opération militaire visant à éliminer ce groupe, désormais désigné comme terroriste par la communauté mondiale. Selon le Fatah, l'existence de Hamas n'est qu'une tentative pour déstabiliser l'autorité palestinienne légitime. C'est de cette façon qu'Israël a récupéré le contrôle de Gaza.
Le Hamas voit le jour en 1987 suite au déclenchement de la première intifada (« soulèvement » en arabe) contre l'occupation israélienne de la Cisjordanie et de la bande de Gaza. Cependant, ses origines remontent à plus loin. Le mouvement est une évolution des Frères musulmans, une organisation islamiste fondée en Égypte et impliquée dans de nombreux pays. Il était déjà actif à Jérusalem en 1946, notamment par le biais d'initiatives caritatives.
Le Hamas a franchi la frontière israélienne, entraînant la mort de 1400 Israéliens. Israël a pris l'initiative de mener une opération militaire en vue de détruire Gaza et d'éradiquer le Hamas. Il était aussi clair que le Hamas ne peut se mesurer à Israël, qui bénéficie du soutien des puissances occidentales en arrière-plan. En vérité, Israël est le seul pays non officiellement membre de l'OTAN, tout en étant perçu comme son adhérent le plus important et, bien sûr, bénéficiant d'un soutien indéfectible de la part des États-Unis. De toute évidence, c’est un coup dur qui a été assené, anéantissant tout sur le plan politique et militaire, et depuis lors, ni Gaza ni le Hamas n'ont réussi à se ressaisir.
Particularité de la démarche
Tout le monde était informé de l'attaque, mais c'est Israël qui a choisi son moment. Donc, ça a été une surprise. Israël a contredit Trump de cette manière, tout comme il l'avait fait avec Biden précédemment, et a de ce fait entravé les résultats de la collaboration entre Donald Trump et Ali Khamenei. Israël souhaitait démontrer sa conviction que les pourparlers avec le régime iranien étaient vains.
En ce qui touche à l'assaut contre l'Iran, il revêt une importance considérable car il va transformer la configuration de la région. Cette offensive, au-delà de ses dimensions techniques et militaires, ne relève pas d'une stratégie tactique, mais s'inscrit dans une démarche stratégique.
En comparant les deux incidents, le ratissage militaire de Gaza d’une part et la frappe contre Hezbollah et l’Iran, on constate une nette différence. La guerre de Gaza visait le territoire, tandis que l’attaque contre Hezbollah et de l'Iran concerne a ciblé des zones stratégiques ainsi que du système de défense et de contrôle. Ainsi, l’équations entre ces deux conflits est totalement divergente.
Si Israël a entièrement dominé Gaza, poussant les Gazaouis jusqu'aux limites du Sinaï, une situation qui n'est guère du goût des Égyptiens, l'élimination des dirigeants militaires et des experts en nucléaire, ainsi que de Nasrallah et ses collègues du Hezbollah, a écarté la possibilité venant des forces les plus tenaces et robustes.
L'approche militaire d'Israël a véritablement exposé au monde l'impuissance de l'Iran à défier Israël. Face à cette situation, l'Iran et son système politique se trouvent à un point de basculement crucial. Surtout que le gouvernement, ainsi que toutes ses institutions, a été mis en lumière par Israël grâce aux efforts méticuleux des services de renseignements israéliens, notamment du Mossad, qui semble diriger tous les aspects de l'existence politique et militaire. L’Iran a été infiltré par le Mossad, qui a préparé le terrain pour des frappes depuis l’intérieur de l’Iran. Les chefs du régime iraniens ou plutôt ceux qui se sont échappés aux frappes ont réalisé qu'ils étaient confrontés à une catastrophe inédite dans l'histoire, et que leurs prétentions n'étaient que le fruit d'une imagination débordante et de calculs erronés qui ont anéanti les espoirs de ceux qui y croyaient.
L’Iran est souvent désigné comme étant un ennemi
Depuis l'ère de l'ayatollah Khomeini, Guide suprême de la révolution, le régime iranien a suscité de nombreuses hostilités en raison de ses interventions contre les gouvernements arabes et islamiques. Il a tenté de répandre la révolution dans d'autres nations, propageant ses principes et sa pensée chiite, tout en instaurant la discorde parmi les personnes et les communautés d'une même nation. À tel point que Dans l'un de ses allocutions, le roi Hassan II a qualifié Khomeini de mécréant.
Les américains garderont à jamais en mémoire l'humiliation subie par leur ambassade à Téhéran en 1979, et l'Europe n'effacera jamais de son esprit l'exclusion de Téhéran des discussions concernant le nucléaire énergétique et sa quête incessante d'enrichir l'uranium.
Les sept ethnies dont des tribus Perses, Kurdes, Lurs, Arabes, Baloutches, Turkmènes et Turques. qui composent la population iranienne qui sollicitaient la miséricorde de Téhéran depuis longtemps auront un rôle à jouer dans ce conflit et ses répercussions.
Les militants iraniens n'ont pas oublié qu' Il y a deux ans, la police des mœurs a tué Mahsa Amini 22 ans, désormais symbole du combat des femmes de son pays arrêtée après s’être dévêtue en public samedi devant l’université Azad de Téhéran, et les manifestations et les arrestations vilentes qui ont suivit sa mort car les autorités iraniennes assimilent le rejet du voile obligatoire à un « trouble mental ».
Ainsi que Les manifestations étudiantes de juillet 1999 en Iran (surnommées « 18 Tir » ; Hishdah-e Tir de l'année 1378 du calendrier persan) font partie des plus sévères protestations en Iran, réprimées de manière violente par les Basidj en civil et des membres du groupe Ansar Al-Hezbollah. Des étudiants ont été poursuivis jusque dans leurs résidences universitaires par des fanatiques et des agents de police, provoquant des dégâts tant chez les manifestants que dans les lieux eux-mêmes. Les troubles ont persisté dans les rues pendant près d'une semaine, entraînant de multiples arrestations, blessures et décès.
La guerre n'apportera que destruction et dévastation. Ses conséquences seront profondes. De même qu'elle engendre la discorde sociale et internationale chez certains, elle engendrera aussi division et désunion chez d'autres. Mais il est certain que Trois figures marquantes seront mentionnées dans le futur et à travers l 'histoire chaque fois que l'effondrement de l'empire chiite sera discuté : le dirigeant iranien Ali Khamenei, le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou et le président américain Donald Trump.
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